Rhétorique de l'image

par Thomas Greiss

L’art est avant tout un langage… L’image possède sa propre syntaxe, sa grammaire, son vocabulaire et ses figures de style. A l’instar du langage parlé, celui de l’image évolue avec le temps. Il suit son époque et s’en fait le miroir.

Si l’artiste décide de ce qu’il compose, il le fait en utilisant un langage dont l’évolution lui échappe. Il s’adresse exclusivement à ses contemporains, c’est pourquoi il est important de considérer les contextes sociaux, culturels et politiques dans lesquels se situe l’œuvre au moment de sa création. Avec le recul, il est alors possible d’observer cette évolution et d’en discerner la construction.

L’artiste utilise les codes de communication de son époque, les développe, les sublime quelquefois, les amène à évoluer. Le génie les réinvente. Insatisfait des expressions qu’il juge inadaptées à son idée, il détruit et reconstruit, ou alors tout simplement, il donne naissance à une formule nouvelle. Rares ont été ces créateurs : Giotto, Caravage, Rembrandt, Cézanne. Ils ont inventé les bases qui ont permis aux grands talents d’atteindre des sommets, chacun à sa manière : De Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Titien, Boucher, Picasso…

Leurs images peuvent être comparées aux langues orales. Différentes les unes des autres, elles ont cependant en commun une structure linguistique identique dont la matière première est la figure de style : la rhétorique.

Quelle que soit sa fonction, témoignage, argument, allégorie ou expression poétique, l’image possède un message qui doit être compris par celui qui la lit. L'art figuratif cherche systématiquement à exprimer une pensée. Sens caché derrière le symbolisme compliqué de la renaissance ou alors lecture évidente et immédiate de l’argumentation publicitaire moderne, les créateurs d’images ont toujours eu recours à la rhétorique pour atteindre leur objectif.

MÉTONYMIE, MÉTAPHORE, ELLIPSE OU HYPERBOLE ?
Les figures de style ne manquent pas. Pour l’image, elles sont les mêmes qu'à l’oral.
L’artiste, comme l’écrivain, possède tout un panel d’outils linguistiques qui lui servent à se faire comprendre, et de belle manière si son talent le lui permet. Substituer, opposer, amplifier, jouer de la syntaxe ou de l’analogie, la rhétorique permet tout, brutalement ou en finesse, de façon simple ou mystérieuse. L'artiste ne le fait toujours pas consciemment. Nous-même le faisons sans y prêter attention dans la vie de tous les jours, lorsque nous parlons ou écrivons. Avec la communication moderne, la rhétorique de l'image est devenue une science à part entière : les publicitaires l'utilisent avec soin afin de mettre en place le message qui touchera au plus juste l'imaginaire de son consommateur.

En se concentrant sur l'image, les figures de style apparaissent. Le langage iconique à cette faculté fascinante de pouvoir les imbriquer les unes dans les autres et ainsi de pouvoir proposer plusieurs niveaux de lecture. Au premier niveau, la métaphore et la métonymie. A celles-ci viennent s’ajouter toutes les autres figures de la rhétorique. En voici quelques exemples :

Les Ambassadeurs
Hans Holbein le jeune - 1533

Holbein témoigne d’un évènement politique qui a eu lieu au XVIe siècle. Il n’en montre que les protagonistes : c’est une synecdoque.

Les nombreux objets posés sur les étagères sont là pour montrer l’étendue du savoir des deux personnages dans tous les domaines des sciences humanistes (mathématique, astronomie, musique etc...) : c’est une métaphore.

Les vêtements permettent de connaître la fonction des personnages, l’ambassadeur laïc et le religieux. L’habit faisant le moine : c’est une métonymie.

Le rideau en arrière-plan est une métaphore du mystère de la religion : il ne laisse apparaître que le Christ (en haut à gauche) et cache le monde divin. La figure du Christ fait office d’allégorie de la religion catholique.

L'anamorphose au premier plan est une anacoluthe qui finalement prend son sens lorsque le spectateur se déplace et découvre le motif caché par le peintre.

La reddition de Breda
Diego Velasquez - 1635

Le tableau représente la victoire de l'armée espagnole sur les Hollandais lors de la bataille de Breda qui eut lieu en 1625. Les figures de style employées ici servent à représenter d'une part la guerre et de l'autre la paix :
La guerre n'est pas représentée directement, c'est une ellipse. Elle est cependant suggérée par la métaphore de la fumée des incendies à l'arrière-plan et par diverses métonymies : armures, fusil, épées et lances des soldats.

Les lances dressées à la verticale et non pointées vers l'ennemi sont une métaphore de la paix. La clé tendue par le vaincu au vainqueur est à la fois une métaphore et une litote pour représenter la ville de Breda.
La soumission du Hollandais est représentée par son mouvement : son attention de s'agenouiller devant l'espagnol est une métaphore mais le geste de ce dernier, arrêtant son mouvement pour l'empêcher d'avoir à s'humilier est une litote (un simple geste pour une signification profonde, allant jusqu'à l'allégorie du respect entre combattants).

La représentation de la guerre et de la paix au sein de la même image est un oxymore.

Moins évidente, car directement liée à la syntaxe et à la composition du tableau, l'asyndète évoque par le désordre apparent le moment de transition entre la bataille et la victoire espagnole : position des personnages de dos, de profil, de face, de trois-quarts. Regards tantôt vers les généraux, tantôt vers le spectateur ou encore dirigés vers d'autres personnages de la scène, contraste de profondeur entre les groupes du premier plan et la ville très éloignée à l'arrière.

 

Le serment des Horaces
Jacques-Louis David - 1784

Ce tableau est une métaphore du patriotisme et du sacrifice comme idéal moral de l'homme. Pour cela, David utilise un oxymore en mettant sur le même plan les forts et les faibles : d'un côté les hommes debout, fiers et résignés ; de l'autre les femmes assises, en larmes.

La répétition des soldats sur la gauche (au nombre de trois) est une anaphore et leurs bras de plus en plus tendus vers le haut de l'image, avec au sommet la main ouverte du père est une gradation qui se trouve encore accentuée, donc de l'ordre de l'hyperbole, par la perspective et la profondeur.

Enfin, l'idée de sacrifice héroïque utilise l'histoire romaine comme allégorie qui sert en même temps d'euphémisme à la mort, car l'on sait le destin tragique qui attend les trois frères.

LES FIGURES DE STYLE LES PLUS COURANTES :

Métaphore
C'est une comparaison sans outil de comparaison. Deux idées sont associées pour créer une correspondance impossible dans la réalité. L'idée A est remplacée par une idée B et la relation entre elles dépend de la manière de voir de l'auteur, de l'interprétation qu'il souhaite lui donner, de la connotation de l'image choisie.

Métonymie
Une idée A est remplacée par une idée B, les deux idées ayant un rapport logique entre elles. A est un élément de B, un détail ou une partie. Il y a ici un déplacement visuel sur un concept "contenant" afin d'exprimer le "contenu".

Synecdoque
C'est une forme particulière de métonymie dans laquelle B est une partie de A. Le détail exprime l'ensemble.

Allégorie
C'est la représentation imagée d'une idée abstraite en utilisant des symboles et quelquefois la personnification.

Anacoluthe
L'anacoluthe est une transformation de la syntaxe qui survient de manière inattendue. Elle peut sembler être une erreur.

Litote
Cette figure de style consiste à dire peu pour exprimer beaucoup.

Euphémisme
C'est une manière d'atténuer la portée du message en remplaçant le motif par un autre moins choquant.

Hyperbole
Procédé inverse de l'euphémisme qui consiste à amplifier une idée pour la mettre en relief.

Anaphore
Répétition d'un motif qui permet d'insister sur l'idée énoncée.

Oxymore
C'est la mise en relation au sein d'un même visuel ou d'un même plan de construction de deux idées opposées.

Ellipse
L'ellipse consiste à ne pas représenter l'idée ou le sujet qui sont évoqués.

Gradation
Cette figure de style se caractérise par l'emploi successif de motifs de plus en plus tant au niveau de leur connotation que de leur disposition dans l'espace visuel.

Représenter la douleur à la renaissance : hyperbole chez les flamands, euphémisme chez les italiens.

Les écoles du nord et du sud de l'Europe se distinguent dès le début de la renaissance par leur style propre, ce qui dénote de l'état d'esprit de chacun face à la réception qu'ils ont de l'image et par là même de leur société et de leur interprétation du message religieux.

Les italiens, catholiques et acteurs de la contre-réforme, idéalisent leurs sujets et recherchent un modèle de beauté afin d'en attribuer les effets, les causes et les bénéfices à Dieu ou, tout au moins, à la conception qu'ils se font du message chrétien.
Dans les scènes de crucifixion ou de déposition, la douleur du Christ est montrée par le biais d'un euphémisme : beauté du corps que les blessures n'ont pas réussies à souiller, visage serein : c'est une "belle" douleur, endurée pour le bien de l'humanité.



Chez les peintres flamands, au contraire, c'est le souci de réalisme qui l'emporte. Plus proche du message sévère du protestantisme naissant, la mise en scène particulièrement crue de la douleur et de la mort exprime de manière violente la souffrance subie par le Christ pour sauver les Hommes de la damnation éternelle. L'image utilise l'hyperbole pour réaliser son objectif.